Une chronique intime sur le départ d’un père et le voyage intérieur de sa fille
Le second roman de Sarah Gysler débute avec un regard sincère sur la fin de vie d’un père, Claude, surnommé affectueusement « La Vieillerie » par sa fille. En fin d’année 2019, Sarah Gysler évoque ses rêves d’évasion maritime à bord d’un voilier rafistolé nommé Dune,avant qu’un drame ne bouleverse son quotidien. La maladie physique de son père le conduit à réunir la famille en vue d’une issue tragique, qui marquera profondément l’autrice.
Le portrait d’un père réservé et vulnérable
Claude, un passionné de Renaud, est décrit comme un homme d’une grande pudeur, peu expressif face à ses émotions tout en étant souvent brutal dans ses opinions face au monde contemporain. Sarah Gysler confie que cette figure paternelle constitue une des valeurs essentielles de sa vie.
Selon ses mots, la perte de cet homme l’a fortement bouleversée. L’une des dernières instructions laissées par son père fut de lui demander d’écrire un livre, une démarche qu’elle considère comme la plus belle façon pour lui de lui témoigner son affection, en lui permettant également de faire face à sa propre détresse nouée dans l’écriture.
Une période d’attente et d’humour face à la fatalité
Le récit se concentre sur le moment précis où, dans l’appartement d’Epalinges, la famille accompagne Claude dans ses derniers instants, en juin 2020. La présence des bénévoles d’Exit facilite l’accompagnement vers la fin, tandis que l’autrice explore avec subtilité, et beaucoup d’humour, cette étape douloureuse, évitant toute mise en scène mélancolique excessive.
Les effets déstabilisants du deuil sur la jeune femme
Ce passage marque le début d’une période difficile de dépression, qui s’étend sur un an et demi pour Sarah Gysler. Elle tente alors différentes activités pour faire face : regarder des documentaires sur les serial killers, cultiver une jungle dans son salon, élaborer un historique du cinéma mondial à l’aide d’un fichier Excel, ou encore jouer à la « croque-morte » pendant quelques semaines, avec des scènes insolites et courageuses.
Elle partage d’ailleurs :
« Instantanément, je me dis que ce serait peut-être mon seul regret dans la vie (c’est dire ma mauvaise foi !): malgré cette existence parfois négligente et un peu naïve, je pensais ne jamais avoir de regret pire que celui-ci : ne pas avoir préparé moi-même le corps de mon père. »
Le rôle réconfortant des proches et des compagnons de route
Malgré la perte, Sarah voit revenir à la surface des liens familiaux et amicaux. Sa mère refait surface, son amoureux traverse ses propres épreuves sans se laisser submerger, et ses amis l’entourent de chansons françaises, pleines de solidarité. La présence inattendue d’un chat errant, Miracle, un matou aveugle et obèse, devient un symbole de réconfort dans cet univers bouleversé. Par la suite, la famille se retrouve dans la ville de Vevey, dans le lieu emblématique de la Cour de l’Avenir, symbole d’un refuge où les échanges chaleureux et les karaokés deviennent une échappatoire cathartique.
Le processus d’écriture, une quête de lumière sur quatre ans
L’écriture de ce roman s’étale sur quatre années, mêlant solitude et remises en question. Pour l’autrice, cette aventure personnelle se transforme peu à peu en une expérience lumineuse, contrastant avec la lourdeur du sujet abordé.
Sarah Gysler précise :
« C’est un livre hommage, je voulais qu’il ne soit pas triste. Ce n’est pas uniquement une réflexion sur le suicide assisté, mais aussi une élégie à l’amour et à l’impuissance face à la perte. »
Une évolution artistique sincère et profonde
Initialement perçue comme une écrivaine voyageuse, Sarah Gysler se révèle avant tout comme une auteure engagée, sincère, et profondément humaine, notamment dans « Emmenez-moi ». Ce récit, intense et bouleversant, laisse le lecteur avec l’envie d’aimer encore plus fort ses proches, tout en retrouvant la joie simple de partager des moments comme le karaoké, symboles d’une quête de sens face à la fragilité de la vie.
Daniel Vuataz/ld
Sarah Gysler, « Emmenez-moi », Éditions des Équateurs, août 2025.
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