Conflit au Soudan: danger accru pour les civils et les minorités ethniques après la prise d’El Fasher

Monde

Contexte historique et tournant politique

La crise actuelle s’inscrit après la révolte populaire de 2019 qui a conduit à la chute du président Omar al‑Béchir, après trente années au pouvoir. Toutefois, le pouvoir n’a pas été confié aux civils: en 2021, Abdel Fattah al‑Burhan et Mohamed Hamdan Dogolo, à la tête des forces armées et d’une milice para­militaire, ont mené un coup d’État pour reprendre les rênes du pays et mettre fin à la transition démocratique. Depuis 2023, ces deux factions s’affrontent.

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Événements marquants et prise d’El Fasher

Le contrôle de Khartoum est assuré par l’armée depuis fin mars. Dimanche, les Forces de soutien rapide (FSR) sont entrées dans El Fasher, capitale du Darfour, après un siège de plus de 500 jours. Cette prise marque un tournant: la région ouest, de la taille approximative de la France et déjà gravement touchée par les combats des années 2000, passe sous contrôle paramilitaire.

Des rapports font état d’exactions massives survenus après l’entrée des FSR. Mercredi, l’Organisation mondiale de la Santé a fait état du meurtre de plus de 460 personnes dans une maternité. Les exécutions sommaires visent des civils, y compris des femmes et des enfants; l’armée accuse les paramilitaires d’avoir ciblé mosquées et personnels du Croissant‑Rouge.

Ces événements alimentent les craintes d’un basculement humanitaire et politique dans la pire crise au monde selon l’ONU.

Crainte d’une recrudescence de la haine et d’un enrôlement forcé

Dans ce contexte, il devient de plus en plus complexe pour les civils d’éviter de se ranger derrière l’un des camps. Alice Franck, géographe et maîtresse de conférences à Paris 1, souligne que les exactions récentes aggravent les clivages identitaires et rendent difficile le maintien d’un espace neutre.

Roland Marchal, politologue à Sciences Po, évoque une possible radicalisation et une détermination accrue à combattre jusqu’au bout, indiquant que la réalité sur le terrain pourrait nourrir une escalade des hostilités.

Répercussions humanitaires et accès aux secours

En 18 mois de siège, des centaines de milliers de civils se sont réfugiés à Tawila, à environ 60 kilomètres d’El Fasher. Or, l’afflux récent est modeste et beaucoup de personnes restent bloquées dans des villages intermédiaires, les routes étant dangereuses et les sorties parfois monnayées par des milices locales, selon Caroline Bouvard, directrice pour le Soudan de l’ONG Solidarité Internationale.

Les personnes arrivées récemment présentent des signes de malnutrition, de déshydratation et de traumatisme, et les ONG s’efforcent d’apporter une aide adaptée malgré le contexte sécuritaire et logistique difficile.

Le spectre d’un génocide et l’accès humanitaire contraint

L’ONU dispose d’un accès limité au Darfour, faute d’autorisations suffisantes des autorités soudanaises, ce qui complexifie la réponse humanitaire et la dépendance vis‑à‑vis des ONG internationales et nationales, selon Caroline Bouvard.

La situation demeure préoccupante même après la fin du siège: l’ONU et l’Union européenne dénoncent une intensification des violences et un ciblage ethnique des civils. Le syndicat des médecins soudanais a de son côté évoqué des massacres motivés par l’appartenance ethnique, rappelant les heures sombres du Darfour dans les années 2000.

Texte préparé par Pierrik Jordan; sujet radio : Isabelle Cornaz.